Les vieux ne mangent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux...

Savez-vous qu'en France des centaines de milliers de personnes âgées souffrent de dénutrition? Savez-vous que cela se passe en maison de retraite ou à domicile? Savez-vous que cette dénutrition souvent est induite non pas par l'âge avancé ou la maladie mais par le manque, la sous-alimentation? Savez vous que le coût alimentaire moyen d'un repas non sous traité en maison de retraite allait d'un établissement à un autre de 0,16 centimes d'euros à 3,21 euros en 2008 (nous n'avons pas de chiffres plus récents)? Soit un rapport de 1 à 20!

Cela pose un certain nombre de questions que nous allons essayer ici de passer en revue.

Il y a t'il en France dans certains établissements d'hébergement des personnes âgées une véritable volonté, par un budget non approprié, d'affamer nos vieux? Vraisemblablement oui sauf que cela se fait d'une façon sournoise sans responsabilité vraiment définie. Nous sommes ici assez proches de l'expérience de Milgram ou des femmes et des hommes qui nous ressemblent sont amenés à infliger à des faux candidats (des acteurs professionnels) qui sont censés répondre à des questions, des sanctions sous forme de charges électriques de plus en plus élevées à chaque fois qu'ils répondent mal. Nous sommes ici, comme l'a très bien démontré le philosophe Michel Tereschenko, face à une dépersonnalisation de l'individu, un déresponsabilisation qui peut le conduire à faire la Mal au nom d'autrui sans s'en sentir coupable. Cela permet au Mal d'échapper à toute responsabilité. Les donneurs d'ordres ne voient pas les victimes et les exécutants ne se sont pas les donneurs d'ordres ainsi chacun renvoie la responsabilité vers l'autre. En maison de retraite, la maltraitance, appelons le mal par son nom, a toujours existée. A l'époque des hospices, où les religieux s'occupaient des vieux, il y avait déjà bien sûr beaucoup de promiscuité, beaucoup de souffrances, beaucoup de malnutrition. Il faut juste rappeler qu'à cette époque là l'hébergement des vieux était gratuit. Les religieux faisaient ce qu'ils pouvaient avec ce qu'ils avaient. Il y avait aussi, contrairement aux idées reçues, de la maltraitance dans les familles et pas simplement en institution. Quand les vieux étaient hébergés par leurs enfants et petits-enfants, il pouvait également y avoir maltraitance tout comme il y a dans les familles françaises de la maltraitance des enfants ou des épouses.


Je ne sais pas si le Bien existe mais en tout cas le Mal ordinaire existe bien. Nous en avons tous été témoins. Aujourd'hui les choses ont changé en matière d'offres d'hébergement. Cela est même devenu un véritable marché très lucratif qui porte déjà un nom : L'Or gris. Le coût d'un hébergement, le reste à charge pour une prise en charge d'un parent varie en France de 1200 euros à 2500 euros selon le type d'établissement, la localisation et les prestations apportées. Il existe une offre publique ou associative (non lucrative) souvent moins cher et une offre privée souvent facturée 2/3 plus cher que l'offre publique. Nous ne sommes donc plus dans un système de charité mais dans un système social, payé par nos impôts (APA) en partie et en partie par nous-mêmes et dans le système privé payé entièrement de notre poche. Nous avons un droit d'inventaire sur la gestion d'un établissement d'hébergement d'une personne âgée dépendante (EHPAD).

Si nous reprenons notre histoire de maltraitance, nous avons le droit et le devoir de demander des comptes aux établissements. Nous avons le droit de savoir quel est le taux d'encadrement dans les établissements où sont hébergés nos aînés, c'est a dire,  quel personnel est employé pour x résidents? 


Nous avons quelques chiffres grâce à la publication par KPMG de l'Observatoire des Maisons de retraite 2010. Ce sont les chiffres de 2007 et de 2008 et cela porte sur 85 établissements sans but lucratif. Nous 
n'avons donc aucune donnée sur les établissements privés. Pourquoi?


Les chiffres de cet observatoire montrent qu'il y a des différences importantes d'un établissement à un autre et que grosso modo il existe 1 personnel salarié pour 2 résidents et une infirmière pour 10 résidents. 


Nous sommes très loin des chiffres des pays du nord de l'Europe où il y a quasiment une infirmière pour 2 résidents et un personnel salarié pour chaque résident. Les prix ne sont pas différents, il existe juste une éthique plus grande liée à la culture protestante ou puritaine qui est plus exigeante en terme de contrôle des établissements et plus respectueuse du grand âge. Dans nos sociétés méridionales où les valeurs judéo-chrétiennes ont disparu, le cynisme a pris la place aux vertus. La personne âgée est devenue un "produit".


En tant que gérontologue et expert dans le domaine de la nutrition de la personne âgée, je propose quelques solutions pour améliorer la situation car il ne s'agit pas de dénoncer un système sans apporter d'alternatives crédibles. La prise en charge du vieillissement est une entreprise très complexe et je ne veux surtout pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il y a en France des établissements exemplaires, des femmes et des hommes dévoués à leur mission de secours aux plus faibles. Je souhaite aussi leur rendre hommage. Je pense d'ailleurs à mon maître le Pr Charles-Henri Rapin, aujourd'hui disparu, qui m'a appris une bonne partie de ce que je sais mais qui m'a surtout initié à un regard compassionnel de notre alter ego âgé et parfois dépendant. Nous sommes tous des vieux dépendants potentiels et nous serons traités à l'aulne de ce que nous aurons entrepris pour envisager un vieillissement dans la dignité. Il est donc du devoir de chacun de s'impliquer et d'exiger une qualité et une transparence optimale dans l'hébergement de nos anciens.

Si aujourd'hui nous entendons parler de machisme, de sexisme dans nos sociétés, il existe aussi de l'âgisme qui se traduit par un dénigrement de la personne âgée qui n'a pas toujours accès aux mêmes attentions que les sujets plus jeunes. Il existe encore une médecine qui se réfère à l'âge chronologique pour décider de la prise en charge d'un cancer ou sa non prise en charge. 


Il n'est plus envisageable aujourd'hui avec les données de la science actuelles de ne pas se référer à l'âge physiologique en premier lieu pour décider d'une stratégie thérapeutique. 


Une fois l'entrée en dépendance, la personne âgée devient une charge, même si le terme est inapproprié. 


Le terme "enfants à charge" ne pose pas de problème. Il doit en être de même pour le parent âgé. Le journaliste Yves Mamou, du Monde, avait d'ailleurs sorti son premier livre sur le sujet : "Des Parents à charge" paru en 2000. Je propose d'ailleurs une possibilité de défiscalisation pour des individus ou des entreprises ayant des revenus élevés et acceptant de participer à la prise en charge d'une ou plusieurs personnes âgées sans ayant droit.  

Parlons de l'aspect nutritionnel à proprement dit :

Concernant le problème de la dénutrition, le sujet que je connais le mieux, il existe des possibilités importantes d'amélioration du système. Tout d'abord il n'existe pas d’outils dignes de ce nom permettant de dépister, d'évaluer, de suivre la dénutrition chez un patient. Il existe le "Mini-Nutritional Assessment" de Nestlé qui est une enquête alimentaire améliorée basée sur du déclaratif seul. Il y a deux soucis avec cet outil : premièrement pouvons-nous accepter un outil venant de l'industrie qui se fait juge et partie. En effet, Nestlé est un des leaders dans la vente de compléments nutritionnels remboursés par la sécurité sociale. Par ailleurs, qui remplit ce questionnaire quand le patient est dépendant et n'a plus les facultés pour répondre? Les infirmières des maisons de retraite? Les familles? Seront-ils objectifs? Pas toujours. 


Je propose pour ma part un outil qui s'appelle le "Diagramme Iso-Nutritionnel" sur lequel je travaille depuis une dizaine d'année. Cet outil se base sur des valeurs anthropométriques (Taille, Poids) et sur des valeurs biologiques (CRP, Albumine). Cet outil est inspiré de l'outil GIR (Groupes Iso-Ressources) qui permet d'évaluer le niveau d'autonomie ou de dépendance d'un sujet âgé afin de raisonner en groupes homogènes de malades. Le GIR intervient dans le calcul de l'Allocation Personnes Agées (APA).


Je pense qu'il faut faire la même chose avec l'Etat Nutritionnel car le métabolisme est la colonne vertébrale de tout notre système de santé. Quand il y a une dénutrition protéino-énergétique l'organisme risque la panne sèche ce qui se traduit par un déséquilibre des constantes biologiques et donc par le décès rapide du patient dans des conditions souvent extrêmement douloureuses. 


La dénutrition par ailleurs coûte très cher à la société car elle entraîne le patient dans une spirale morbide (infections, escarres, fonte musculaire, entrée en dépendance, mauvaise réponse et mauvaise tolérance aux médicaments). Tout cela se chiffre en millions d'euros par an. Une prévention et une meilleure prise en charge permettraient non seulement de faire des économies mais aussi d'améliorer la qualité de santé de nos vieux et de leur permettre une survie plus longue et meilleure chez eux. Ils resteront ainsi des consommateurs avec souvent plus de moyens que les jeunes générations. Il faut retarder l'entrée en dépendance. C'est une priorité économique. Je propose donc la création d'un observatoire d'abord régional, ici en Bourgogne, puis national. 


Cet outil, le Diagramme Iso Nutritionnel permettra aussi de classer les établissements en fonction de la prévalence et du degré de dénutrition. Nous pourrons alors revenir sur ces écarts de 1 à 20 dans les budgets alimentaires en maison de retraite et regarder s'il n'est pas judicieux de lisser ce budget aux alentours des 2 euros par repas ce qui représente sur une année un budget de 2000 euros par résident. Le coût d'une escarre sacrée, conséquence de la dénutrition, a été établit entre 15 000 et 60 000 euros par épisode. Il serait urgent de mettre en place une étude médico-économique afin de démontrer que prévenir la dénutrition (en augmentant le coût alimentaire et en proposant plus de personnel pour aider les personnes âgées dépendantes à s'alimenter) permettrait de faire de solides économies de santé et de souffrances humaines. Augmenter le ratio personnel/résident permettrait une diminution du stress et de la pression du personnel ce qui se traduirait aussi par moins de maltraitances (souvent passives du reste par excès de fatigue). Je tiens ce discours depuis des années sur mon site Nutrisenior et dans l'association du même nom que j'ai créée en août 2006 suite au drame de la canicule. Beaucoup de gériatres et de nutritionnistes traitent de ce problème dans de très beau congrès où l'on affiche de très beaux graphiques avec des belles études mais force est de constater qu'en 20 ans, les progrès ne sont pas fulgurants. 

Conclusion :

Il est temps de lancer un véritable grenelle du vieillissement et mettre en œuvre les meilleures idées afin d'améliorer le vieillissement des français. Il faut accepter que les assureurs apportent des idées de financement de la vieillesse mais ils ne doivent pas être les seuls. Le vieillissement est l'affaire de tous et d'abords des professionnels. Les gérontologues, et ils sont nombreux, ne doivent pas servir de "prête noms" aux groupes privées et autres organismes qui utilisent la misère humaine pour faire fortune. J'ai commencé mon action en gérontologie en 1998 à une époque, pourtant pas si lointaine, où quasiment personne ne s'intéressait à cette problématique. Nous étions quelques uns à débattre sur le tout premier forum dédié à ce sujet : Gérialist, forum créé par le Dr Loic Jollivet. Sont venus nous rejoindre des personnes comme le journaliste Yves Mamou, Annie de Vivie qui a créé Agevillage.com, le sociologue Jérôme Pélissier et de nombreux médecins. C'est sur Gerialist que notre héro national du Rugby, le Dr Lucien Mias a pour la première fois osé parler de maltraitance en créant les toutes premières diapositives dessinées de sa main pour montrer les différents cas classiques de maltraitance. Bref, la gérontologie a perdu de son audace et de son rôle de contre-pouvoir, je le regrette.

Je vous souhaite à toutes et à tous de vieillir car vieillir c'est ne pas mourir jeune. Bien vieillir est aussi la responsabilité de chacun. Si nous ne maitrisons pas tous les paramètres de notre vieillissement, nous en maitrisons quelques uns.  Qui veut voyager loin ménage sa monture! En l'occurrence notre monture c'est notre organisme. Il ne faut pas trop tirer dessus. Il faut limiter les comportements à risque. Toutefois, encore une fois, chacun fait bien comme il veut. Pour l'instant, les comportements à risque ne sont pas taxés. Ca risque de ne pas durer.


Je lance une pétition pour un projet de loi afin de définir dans quelle proportion l'argent des familles peut être utilisé à des fins de spéculation financière. Projet Gerethic :


Reportage sur la dénutrition des personnes âgée au Québec où la situation est assez proche de la notre en France

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