Marcel Conche, philosophe, poète, humaniste.

La première fois que j'ai entendu parler de Marcel Conche, c'était en écoutant Comte-Sponville qui rappelait, comme il le fait à chaque fois, combien ce philosophe français a compté dans son éducation philosophique. Marcel Conche est aujourd'hui un vieux monsieur de bientôt 90 ans, originaire de Corrèze puis qui est venu s'installer dans l'Ain près de Bourg-en-Bresse puis qui, passé 80 ans, a décidé de partir en Corse rejoindre une jeune femme qui lui avait promis, semble t'il, de l'accompagner jusque dans la mort. Finalement la mort n'est pas venue et le vieil homme est rentré au bercail chez lui à Altillac en Corrèze.

Qui est Marcel Conche? C'est un philosophe, fils de paysan, qui a trouvé son chemin philosophique dans la physis grecque. C'est un admirateur de Pyrrhon, Héraclite et Parménide où il est allé chercher la substance de sa philosophie naturaliste. Physis en grec a été traduit par Natura en latin que Spinoza a repris longuement dans sa philosophie. La physis est au centre de la cosmologie grecque. Elle exprime la métaphysique de cette nature englobante en perpétuelle création (poios) et en perpétuelle résurrection. Elle est poésie et poème à la fois. Elle croit, non pas en Dieu mais en terre et l'homme (humus) en est son chef d'oeuvre. Marcel Conche avec son bon sens paysan rappelait que c'est plus facile de croire en la Nature qu'en Dieu car Dieu on ne l'a jamais vu tandis que la Nature, elle est là en nous et autours de nous tout le temps. Elle est finie et éternelle. Elle meurt et renaît aussitôt.

Marcel Conche a pour Montaigne une déférence toute particulière qu'il considère comme le grand philosophe moderne plein de sagesse. Il reproche à Descartes, Kant et Hegel d'avoir tenté de rationnaliser la pensée de Dieu en la substituant par les Sciences dites exactes comme si on pouvait approcher la métaphysique par une formule mathématique. La poésie encore une fois est plus proche de la Nature que n'importe quelle équation. De sa philosophie naturaliste est née une spiritualité sans Dieu que Comte-Sponville a beaucoup développé. Il a vu dans la souffrance des enfants d'Auschwitz ou d'Hiroshima la preuve de la non existence de Dieu car selon lui, reprenant le tétralemme d'Epicure, si Dieu tolère ça, ce ne peut pas être Dieu. Et celui qui rajoute le "libre-arbitre" là-dedans cher à Saint Augustin alors cela serait encore moins acceptable. Quel serait ce Dieu qui jouerait avec les hommes d'une façon aussi cruelle en les regardant se déchirer, se détruire sans jamais intervenir?

Le travail de Michel Serres sur la Nature et le Contrat Naturel ajoute de la réflexion à la pensée de Conche. En effet, cette Nature si prolifique, si généreuse, si inventive qui a créé l'Homme, voici que l'Homme la détruit. L'écologie n'est pas seulement une pensée politique, c'est une pensée philosophique. Peu d'écologistes ont lu Conche ou Serres bien malheureusement. Ils sont souvent dans un dogmatisme caricatural post soixante-huitard. Défendre la Nature c'est défendre notre propre nature humaine. Nous dépendons plus d'elle qu'elle dépend de nous et si nous la massacrons elle supprimera le vermisseau humain qui entrave sa création luxuriante de beautés et de diversité.

De l'observation de la Nature émerge une morale. La Nature connaît ce qui est Bien et ce qui est Mal pour elle. L'évolution telle que Darwin la décrit ne fonctionne que par ces choix que fait la Nature de prendre toujours le chemin le plus efficace pour sa création et sa diversité. La Morale n'a rien à voir avec Dieu. Elle préexiste aux religions. L'Homme a toujours su faire le choix du Bien contre celui du Mal qui le condamne à ne pas évoluer et à rester "bête sauvage". La Morale pour Conche est une obligation absolue. Nous devons respecter l'autre. C'est l'unique condition pour le pacifisme et la paix sociale. C'est dans la paix que l'Homme fait des progrès. Il distingue la Morale de l'Ethique. La Morale selon lui est universelle alors que l'Ethique est personnelle. L'Ethique est une sagesse, la Morale est une Loi de la Nature.

Enfin, et pour conclure, Marcel Conche qui aura 90 en 2012, attend la mort sans la craindre. Il craint le "Mourir" mais il sait que la mort ne lui enlèvera pas sa vie qui fut longue et riche. Il nous laisse un héritage formidable comme cette Nature qui nous nourrit et meurt en nous laissant ses semences. Marcel Conche ne mourra jamais vraiment. Sa pensée aura permis de faire évoluer la connaissance vers un monde sans Dieu mais riche d'une spiritualité subtile. Il m'aura fait comprendre que la Poésie, au delà des idées reçues des imbéciles, est une voie métaphysique qui permet de vibrer à l'unisson avec la mystérieuse Nature. Cette grande Physis grecque que Rimbaud a tant chanté dans ses poèmes et particulièrement dans "Soleil et Chair".


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