Si
la prostitution est le plus vieux métier du monde, cela ne peut en aucun cas
présumer de sa moralité.
En effet comme le
rappelait le philosophe André Comte-Sponville dans une émission récente de
Taddéi, le crime est sans doute aussi
vieux que la prostitution et ce n’est pas pour cela que c’est un bien.
Déjà
dans le long récit de Gilgamesh, tout premier récit de l’humanité, dans
l’éducation du jeune Inkidu , intervient une prostituée. La
question que nous pouvons nous poser, que ce soit pour le crime ou pour la
prostitution, c’est que ces deux activités aussi vieilles que l’humanité n’ont
jamais été éradiquées de nos sociétés.
Cependant,
je ferai un distinguo net entre la prostitution et toute forme de criminalité.
Certaines formes que revêt la prostitution relève de la criminalité lorsqu’il
s’agit d’esclavage, de pratiques non volontaires, de réseaux mafieux. Lorsqu’il
s’agit, en revanche, d’une pratique délibérément choisie par une femme ou par
un homme personne n’a le droit de l’interdire. Dès lors qu’une activité est
choisie volontairement sans nuire à autrui pourquoi la loi devrait-elle s’en
mêler ? Je vois dans la condamnation de la prostitution des réminiscences
d’une vieille morale religieuse et philosophique qui renvoie le corps au péché et qui nuit à la laïcité.
Il
faudra attendre le XVIIIe siècle, voir le XIXe siècle pour que le corps entre en jeu dans les questions spirituelles
et psychiques. Il me semble que c’est Nietzsche le tout premier à avoir
vraiment défendu le corps contre les notions d’esprit et d’âme véhiculée par la
religion catholique en France et par certains philosophes comme Descartes,
Pascal , Leibniz ou même
Kant. Pascal considérait la chasteté comme la plus grande des vertus.
Nietzsche,
en tuant Dieu et en dénonçant une certaine forme de métaphysique religieuse a
pu laisser une place au corps avec l'idée de généalogie. Que ce soit dans le « Crépuscule
des idoles » ou dans « Par-delà le
bien et le mal » Nietzsche nous montre combien le corps influence notre vie ici-bas; Lui l'a plus expérimenté dans le déplaisir que dans le plaisir. Hélas.
Entendre
encore aujourd’hui au XXIe siècle des soi-disant progressistes vouloir
interdire la prostitution et pire encore traiter les clients des prostituées
comme des voyous montrent à quel point notre époque est totalement déconnectée
de tout savoirs philosophiques et de toute pensée. En effet notre époque beigne
dans l’opiniologie et dans l’émotionnel
le plus immédiat.
Bien
évidemment il faut combattre le crime sous toutes ses formes. Lorsque des
proxénètes enlèvent des jeunes femmes, les font violer, les mettent sur le
trottoir ou dans des chambres d’hôtel par la force, il faut que la loi
intervienne pour démanteler ces réseaux mafieux et pour sanctionner très
durement ces voyous.
Lorsque
l’on n’a pas appris à penser le monde ou les concepts alors on est souvent
menacé par toutes sortes d’amalgames dangereux car faux et attentatoire à la
probité de chacun.
Il
existe dans ce pays une misère sociale et une misère sexuelle souvent
d’ailleurs sans rapport l’une avec l’autre. Nous vivons dans une société où
l’image du corps est façonnée par la publicité. Le désir s’en trouve manipulé
et si vous ne correspondez pas au référentiel de beauté imposée par le monde marchand
alors vous risquez de vous retrouver seul.
L’émergence
des réseaux sociaux n’a pas facilité les rencontres ou la vie sociale. Au
contraire j’ai le sentiment qu’elle a isolé un certain nombre de personnes qui
avaient du mal à aller vers les autres pour des questions de mal-être ou de
complexes. Cela a généré et génère encore bien sûr beaucoup de solitude,
beaucoup de frustrations.
Le
succès de la pornographie sur Internet et de la prostitution est le signe de
cette misère sexuelle et relationnelle. Toutefois la pornographie et la
prostitution permettent à certaines personnes d’avoir accès aux désirs et aux
plaisirs. Qui peut juger sérieusement les utilisateurs de ces services dès lors
qu’ils sont proposés librement sur internet notamment?
C’est la que le vrai problème se pose. Je
comprends l’idée de vouloir sanctionner les clients des prostituées en pensant
que c’est la meilleure façon d’éradiquer la prostitution en tuant la demande. Cependant,
ce n’est pas si simple. Que proposent les partisans de l’abolition de la
prostitution à tous ses clients qui sont en fait des miséreux du plaisir pour la plupart ?
Je sais qu’aujourd’hui on emploie à tort et à travers le terme de "pervers" pour toute personne qui aurait un goût un peu trop prononcé pour le sexe et la sexualité. Pourtant la perversion à une définition bien précise. Le pervers jouit du mal qu’il fait aux autres. Le client d’une prostituée ne jouit pas, a priori, du mal qu’il va faire à sa partenaire d’un soir mais bien du corps de sa partenaire qu’il a louée a priori encore avec son consentement. Si la prostituée peut sembler ne pas prendre de plaisir ce n’est pas pour autant qu’elle déclare souffrir de son activité. Si elle souffre de son activité elle est libre d’arrêter sauf si c’est une esclave d’un réseau mafieux ce qui est tout à fait différent. Combien de femmes et d'hommes souffrent à exercer un métier pénible? Peuvent-ils s'en libérer facilement?
Vous
avez bien compris que la question centrale qu’il faut se poser est celle du
consentement éclairé d’une prostituée à exercer une activité hors du commun qui
va toucher son intimité la plus
précieuse : son corps. En Allemagne la prostitution a été organisée et
autorisée dans des lieux bien identifiés : les maisons closes. Les filles
qui travaillent dans ces endroits déclarent être libres de choisir cette
activité en toute connaissance de cause. Il ne s’agit aucunement d’un plein
temps mais de quelques heures qui permettent d’arrondir les fins de mois dans
une activité finalement moins pénible que d’autres et beaucoup plus lucratives.
Les Titans modernes :
Si
nous laissons de côté la morale religieuse pouvons-nous considérer sérieusement
que vendre ses fesses c’est pire que de vendre ses bras? Je suis gêné en ce qui
me concerne de voir des jeunes femmes et des jeunes hommes travaillant sur des
machines extrêmement éprouvantes en répétant des gestes abrutissants le tout
pour un salaire de misère. Pourquoi dans
un monde laïc, sans Dieu, le sexe et les organes génitaux seraient-ils du
domaine du sacré et pourquoi les bras le cerveau les jambes seraient
considérées comme des parties moins nobles ? Bien sûr il y a l’étymologie
du mot sacré qui vient directement du mot sacrum qui renvoie aux parties
génitales. Mais en dehors de cela sur quel fondement philosophique actuel
pouvons-nous affirmer qu’un travailleur du sexe serait plus malheureux qu’un
travailleur tout court ?
Bien
sûr qu’il y a un danger psychologique
évident en acceptant de faire l’amour avec n'importe qui, en étant totalement
déconnecté de tout sentiment. Il y a un danger de mésestime de soi qu’il ne
faut pas négliger. Je ne vois pas comment on peut faire ce métier longtemps
sans faire un travail psychologique sur soi très important et très long et qui
n’est pas sur d’éviter à terme un effondrement sous la forme d’une dépression
très grave à avoir consenti de vendre à des inconnus ce qui peut-être nous est
le plus précieux. Cette question doit être abordée dans le consentement éclairé
dont je parlais un peu plus haut à exercer un métier pour lequel il faut des
dispositions bien particulières psychologiques.
Enfin
quelle différence entre une libertine (que les femmes vertueuses appellent "salope") et une prostituée ? L’argent ?
Ce serait donc l’argent qui poserait un problème ? Vraiment ?
Je conclurai donc de la façon suivante. La toute première des priorités et de lutter efficacement contre le crime et contre les réseaux mafieux qui exploitent maltraitent des prostituées involontaires. Les textes de lois existent, ils sont nombreux mais ne sont pas appliqués faute d’une véritable volonté politique. Il y a une déclaration d’impuissance du politique face à la criminalité internationale. Il faut à mon humble avis légaliser le métier de prostituées professionnelles pour permettre à des milliers de Français d’avoir accès à une forme de sexualité autre que virtuelle. Il faut veiller à la surveillance sanitaire de ces professionnels hommes et femmes. La prostitution n’est pas que féminine contrairement à ce que l’on entend. La prostitution masculine est sans doute moins présente car la sexualité des hommes homosexuels est sans doute plus libérée et plus accessible.
Je pense aux femmes et aux hommes
célibataires, de plus de 50 ans,
handicapés, ne correspondant pas aux canons de la beauté imposée aujourd’hui à
tous. Cela ont droit aussi au plaisir autrement que devant un écran. Je pense
particulièrement aux personnes handicapées qui souffrent d’une solitude
terrible. Combien de prostituées ont témoigné
du fait que souvent la soi-disant « passe » ressemblait
plus à une psychothérapie qu’à une
prouesse sexuelle. Parfois la prostitution permet de passer un cap. Elle donne
l’illusion d’être normal, aimable et aimé et cela fait un bien fou à énormément de gens.
Je
me suis intéressé à la prostitution lorsque je faisais mes études de
gérontologie. Je travaillais à l’époque sur les origines communes entre la
sexualité et l’alimentation dans le cadre d'un mémoire sur la nutrition de la personne âgée. Il y a dans la sexualité et l’alimentation des plaisirs qui peuvent se
ressembler. Lorsque le bébé nait le plaisir est indifférencié et il est
permanent. C’est pour cela que Freud
appelle le bébé « pervers polymorphe ». Cette traduction de l'allemand est sans doute
maladroite car comme je le disais plus haut il ne s’agit aucunement de
perversion mais bien de l’addiction au plaisir ce qui est très différent. Le
tout petit enfant a besoin d’un plaisir permanent pour survivre du passage du
stade fœtal au stade respiratoire. Le monde
fœtal est sans doute un monde de plaisir intense. La présence au monde
par le biais de l’accouchement est une première épreuve que le bébé atténue en
gardant ce plaisir fœtal en lui et en refusant inconsciemment de se séparer
tout de suite de la maman qui l’a porté. Cela le rassure. Quand il va boire la première goutte
de lait, va se produire vraisemblablement une forme d’orgasme (endorphines déclenchées par le sucre du lait) qui est le primat
de la sexualité et de la libido au sens jungien du terme. L’enfant ne va pas savoir tout de suite si ce plaisir intense vient de l’aliment ou vient du fait de téter. C’est l’émergence du stade
oral qui est le premier stade du plaisir sexuel. Les psychologues spécialistes
parlent d’un glissement métonymique. Le bébé en buvant le lait pense que la
source de plaisir est le sein et le fait de téter. Si je termine en évoquant
les sources de la sexualité c’est pour bien insister sur le fait que l’accès au
plaisir conditionne la bonne santé Et le bonheur. On ne peut pas supprimer
comme ça d’un coup de baguette magique des accès au plaisir sans réfléchir de
les remplacer par quelque chose de légal et d’encadré.
Je
suis donc contre toute idée d’abolition et de prohibition de la prostitution.
Je suis contre toute idée de faire du
client le bouc émissaire de
l’incapacité publique à punir le crime par
lâcheté, par complicité ou par
impuissance.
Je pose donc des questions sans véritablement avoir un point de vue tranché. Il serait injuste de considérer tous les clients des prostitués comme des criminels et de considérer toutes les prostitués comme des victimes.
Nous projetons tous notre généalogie sur cette question. C'est pourquoi il est si difficile de s'entendre sur une vision simpliste du sujet. Merci de me donner votre point de vue.
Je pose donc des questions sans véritablement avoir un point de vue tranché. Il serait injuste de considérer tous les clients des prostitués comme des criminels et de considérer toutes les prostitués comme des victimes.
Nous projetons tous notre généalogie sur cette question. C'est pourquoi il est si difficile de s'entendre sur une vision simpliste du sujet. Merci de me donner votre point de vue.
Une règlementation sensée serait bienvenue et clarifierait cette "profession", alors que la culpabilisation des "clients" défausse le gouvernement dans sa responsabilité d'incompétence à lutter contre les réseaux mafieux esclavagistes
RépondreSupprimerDe votre avis jmc. Je reviens plus tard commenter ; c'est article est très complet !
RépondreSupprimerDommage que je ne sache pas qui vous etes...
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